Soigner son apparence vestimentaire est aujourd’hui une nécessité dans le monde où l’image de soi est primordiale. « L’habit fait l’homme », comme disait Mark Twain. C’est ce qui explique en partie le succès du maître tailleur Sanjeeve Poteah, plus connu comme M. San qui a aujourd’hui pignon sur rue et dont la boutique au centre commercial Bagatelle ne désemplit pas. Mais cette réussite est surtout le fruit d’années de labeur et de passion pour un homme dont le destin aurait pu se perdre dans l’anonymat comme celui de ces milliers d’artisans enfermés dans un quotidien de routine. Pour Sanjeeve, c’est la quête incessante de la perfection qui l’a tiré vers les sommets.
Dans le magnifique bureau aux tons choisis avec finesse de son tout nouvel atelier-usine à Beau Vallon où il nous accueille, Sanjeeve, aujourd’hui âgé de 58 ans, a gardé la même humilité de ses débuts. « C’est ici que tout a commencé », confie-t-il. Beau Vallon est une ancienne cité ouvrière rattachée à l’époque à la compagnie sucrière du même nom. Une vieille cheminée encore en parfait état à l’entrée du village, sur la gauche en venant de l’aéroport, en témoigne encore.
Comme beaucoup de ses camarades il aurait pu lui aussi suivre la voie de ses aînés et travailler pour la compagnie sucrière. Nous sommes en 1977. Le pays connaît une grave crise économique et les chômeurs se comptent par milliers. Issu d’une fratrie de cinq enfants, sa maman devant élever seule les enfants après la séparation d’avec son époux, Sanjeeve doit arrêter le collège en Forme II car ses deux sœurs, désormais en âge de se marier, ne pourront plus travailler pour payer ses frais de scolarité.
L’excellence du travail de Sanjeeve
Intéressé par la mécanique, Sanjeeve devait faire des essais à l’usine de Riche en Eau mais malheureusement – ou heureusement – sa candidature ne fut pas retenue. Il tenta aussi de se faire engager comme soudeur mais le destin lui avait réservé un tout autre cadre de travail. « Je passais du temps à jouer les après-midis avec un camarade de classe qui continuait le collège tout en étant apprenti chez un tailleur du nom de Devanand Ramdoo. C’était un homme soigneux qui avait le souci de la propreté et de l’élégance à une époque où l’eau courante était un luxe. Il travaillait sur la propriété sucrière et occupait ses après-midis à coudre dans une pièce de sa maison, comme beaucoup d’artisans à cette époque, pour arrondir les fins de mois ».
Ce camarade de Sanjeeve n’était pas doué de ses mains et se faisait souvent gronder quand il ne prenait pas une gifle. Sanjeeve qui était très observateur et promenait son regard curieux dans l’atelier, se permit un jour de lui donner un conseil. Ce qui devait provoquer la colère du maître qui lui demanda de faire le travail à la place de son ami, puisqu’il savait mieux faire. Sanjeeve s’exécuta avec empressement et réussit brillamment à accomplir l’ouvrage demandé. Stupéfié, mais heureux de voir le talent du jeune homme, il lui demanda s’il ne voulait pas apprendre le métier. La vie de Sanjeeve allait brusquement connaître un virage à 180°
Il se pointa le lendemain et commença par apprendre les rudiments du métier : le rabat, le faufilage, les boutonnières… Comme il retenait très vite les leçons, il se vit très vite confier la couture de chemises et de pantalons. M. Ramdoo ne travaillant que les après-midi, Sanjeeve, sur les conseils de son ami, tenta sa chance chez un autre tailleur à Rose Belle, Anand Nuckcheddy. Mais en raison du peu de machines disponibles, il devait attendre son tour pour pouvoir travailler. Il profita des absences de ses camarades pour faire ses preuves et devant sa rapidité, dépassant parfois même celle du maître, il s’imposa et, de fil en aiguille, apprit très vite à tailler un costume. Sanjeeve resta sept ans dans cet atelier avant d’aller travailler à son compte dans sa petite maison de Beau Vallon.
L’excellence du travail de Sanjeeve est très vite reconnue et, grâce au bouche-à-oreille, les clients affluent chez lui dans sa chambre-atelier qui est très vite encombrée. En 1985, il ouvre un premier atelier à Mahébourg, dans un magasin avant de s’installer dans un local d’environ 6 m2 près du marché. Il y restera pendant plus de 33 ans avant de faire construire son usine à Beau Vallon.
Ce qui frappe chez Sanjeeve, ce qu’il n’a suivi aucun cours dans une école de couture. Tout le génie de ses créations vient de son inventivité, poussée à l’extrême par les exigences de ses clients et de ses doigts que l’on qualifierait « de fée », s’il était une femme. « J’ai même fait des robes car les femmes me disaient en plaisantant : vous faites des costumes pour nos maris, des vêtements pour nos fils, pourquoi pas des robes pour nous ? ». Il s’inspire des catalogues apportés par des clients, souvent étrangers, et fait ses propres patrons et découpes.
La rencontre avec un hôtelier italien, Marcello Giobbe, va donner une autre tournure à sa carrière. Ce dernier, une référence dans le monde du tourisme travaillait alors au Shandrani après une carrière dans d’autres établissements huppés comme le Domaine Les Pailles ou le Touessrok. Homme d’une rare élégance, raffiné, portant costume blanc et chapeau panama, il avait vu le fils d’une Mauricienne qui portait des vêtements réalisés par Sanjeeve et a voulu aussi être habillé par le jeune tailleur.
Ravi de son travail, l’hôtelier lui commande des costumes pour ses managers et invite ses amis à aller chez Sanjeev. Le partenariat avec l’hôtel Shandrani va se développer avec l’arrivée d’une designer française, Myriam Sorigue. « Une rencontre qui débute dans des circonstances rocambolesques avec un rendez-vous manqué en raison d’une panne de ma mobylette », se rappelle Sanjeeve avec un sourire. Refusé à cause de ce retard, il verra néanmoins débarquer la designer quelques jours après, lui demandant son aide pour présenter des designs d’uniforme. Ce sera le début de 15 ans de collaboration.
Mme Sorigue va lui conseiller de changer sa méthode de travailler passant du « full canvas » traditionnel qui demandait des essayages à n’en plus finir pour un costume à une méthode de demi-mesure qui demande une seule prise de mesure pour le client. Grâce à elle, les portes de plusieurs autres établissements hôteliers s’ouvriront à Sanjeeve.
Le travail prenant de l’ampleur, au début des années 2000, notre tailleur commence à voyager, en Chine d’abord où il découvre des méthodes de production modernes. Entre-temps, la clientèle de Sanjeev continue de grandir à travers l’île et certains lui disent qu’il n’est plus « un p’tit tailleur de village » et devrait ouvrir un magasin en ville. C’est ainsi qu’il va s’installer à Phoenix les Halles en 2008. Son affaire connaîtra un développement sans précédent.
Trois ans après, il va ouvrir un deuxième magasin à Bagatelle et devenir la référence en termes d’excellence dans la confection de costumes sur mesure. Son magasin est fréquenté par des hommes d’affaires et des politiciens de tous bords. « Les connaissances acquises et l’expérience me permettent aujourd’hui de livrer un costume cousu en cinq heures selon les exigences du client », dit-il non sans une certaine fierté. Pour Sanjeeve, il n’y a pas vraiment de secrets pour expliquer sa réussite. « Il s’agit de l’amour du travail, de la passion, de la confiance et du respect du client ». Ces valeurs-là, il souhaite les transmettre à son fils qui l’épaule dans son entreprise. Il ambitionne également d’ouvrir une école de couture qui viserait une clientèle de tout l’océan Indien. « Les plans ont été retardés en raison de la pandémie mais les collaborateurs ont déjà été identifiés et le local est prêt ».
Nous ne pouvons que lui souhaiter bon vent pour ce projet qui devra perpétuer à la fois le savoir-faire de Sanjeeve et le métier de tailleur, qu’il a su hisser humblement au rang d’art.
Sanjeeve Poteah raises the craft of tailoring to the rank of art
Being meticulous about one’s clothing appearance has become a necessity in today’s image-driven world. “Clothes make the man”, used to say Mark Twain. This is what accounts in part for the success of master tailor Sanjeeve Poteah, better known as Mr San, whose shop in the Bagatelle shopping centre is always full. But this success is above all the fruit of years of hard toil and passion for a man whose destiny could have been lost in anonymity like those of thousands of craftsmen locked into a daily routine. Sanjeeve’s ascent to the top has been fueled by his relentless pursuit of perfection.
Today aged 58, he greets us in the beautiful, finely-tuned office of his brand-new workshop in Beau Vallon with the same humility as in the early days of his career. « This is where it all began, » he says. Beau Vallon is an old workers’ housing estate which once formed part of the sugar company bearing the same name. This is still evident in an old factory chimney in excellent condition near the village’s entrance on the left, as you arrive from the airport.
Like many of his fellow friends, he too could have followed the path of his elders and worked for the sugar company. In 1977, the country was going through a dire economic crisis and there were thousands of unemployed.
Sanjeeve was born into a family of five children, and his mother had to raise them alone after separating from her husband. Consequently, he had to stop college in Form II because his two sisters, now of marriageable age, could no longer work to pay his fees.
Interested in mechanics, Sanjeeve was supposed to try out for a job at the Riche en Eau factory, but unfortunately – or fortunately – his application was not accepted. He, therefore, applied for a job as a welder, but fate had in store a different setting for him. « In the afternoons, I would while away time playing with a classmate who was still at college and was an apprentice to a tailor named Devanand Ramdoo. He was a neat man who cared about cleanliness and elegance at a time when running water was a luxury. He worked on the sugar estate and spent his afternoons’ sewing in a room at home, as many craftsmen in those days did to make ends meet.
As Sanjeeve’s mate was not good with his fingers, he often got told off and sometimes was even slapped. Sanjeeve, who was very observant and had a curious eye in the workshop, once took the liberty of advising him. This made the master furious and he asked Sanjeeve “If you know better, why don’t you do it in his place?” Sanjeeve obeyed eagerly and succeeded brilliantly in accomplishing the requested task. Speechless, but happy though to see the young man’s talent, he asked him if he wanted to pick up the trade. Sanjeeve’s life was about to take a U-turn.
There he was the next morning and began to learn the basics: flapping, threading, buttonholes… Being a quick learner, Sanjeeve was soon entrusted with sewing shirts and trousers. As Mr Ramdoo only worked afternoons, Sanjeeve, upon his friend’s suggestion, tried his luck in Rose Belle at another tailor’s shop, Anand Nuckcheddy. But due to only a few machines available, he had to wait for his turn to get a chance to work. He took advantage of his workmates’ absences to prove himself. His working speed sometimes even surpassed that of the master, and one thing leading to another, he was soon taught how to cut a suit. Sanjeeve stayed in this workshop for seven years before working on his own in his small house in Beau Vallon.
The excellence of Sanjeeve’s work was soon recognised and, thanks to word of mouth, customers flocked to his workshop and his room soon became crowded. In 1985, he opened his first workshop in Mahébourg, inside a shop, before moving to a location of about 6 m2 near the market. He stayed there for over 33 years before having his factory built in Beau Vallon.
What is striking about Sanjeeve is that he never took any course in a sewing school. The whole genius of his creations comes from his resourcefulness, pressed to the extreme by his customers’ demands and his nimble fingers that one would describe as those of a « fairy » if he were a woman. « I have even made dresses because women said to me as a joke: you make suits for our husbands, clothes for our sons, why not make dresses for us? » He was inspired by catalogues brought to him by customers, often foreigners, and made his patterns and cuts.
His encounter with an Italian hotelier, Marcello Giobbe, was to change drastically his career once again. The latter, a reference in the world of tourism, was working at the Shandrani after a career in other prestigious establishments such as the Domaine Les Pailles or the Touessrok. A man of rare elegance, refined, dressed in a white suit and Panama hat, he had seen the son of a Mauritian woman wearing clothes made by Sanjeeve and he too wanted to be dressed by the young tailor.
Fully pleased with his work, the hotelier ordered suits for his managers and invited his friends to go to Sanjeeve’s. The partnership with the Shandrani Hotel extended with the arrival of a French designer, Myriam Sorigue. « A meeting which began under incredible circumstances with a missed appointment due to my moped breaking down, » recalls Sanjeeve, smiling. Though she rejected him for this delay, she nevertheless showed up again a few days later, seeking assistance in presenting uniform designs. This was the beginning of a fifteen-year partnership.
Ms Sorigue advised him to change his working method from the traditional « full canvas » that required endless fittings for a suit to a half-measure method requiring only one measurement for the client. Thanks to her, Sanjeeve was able to open the door to new opportunities in several other hotels.
As the business grew, in the early 2000s Sanjeeve began to travel, first to China where he discovered modern production methods. In the meantime, Sanjeeve’s clientele continued to increase across the island and some people told him that he was no longer « a village tailor » and should open a shop downtown. So in 2008, he moved to Phoenix Les Halles. This was an unprecedented expansion.
Three years later, he opened a second shop in Bagatelle and became the reference of excellence in tailoring. His shop is frequented by businessmen and politicians from all walks of life. « Thanks to the knowledge and experience I have acquired, I can now deliver a suit sewn in five hours respecting all the customer’s specifications, » he says proudly.
For Sanjeeve, there are no actual secrets to his success. « It’s all about the love of work, passion, trust and respect for the customer”. He wants to pass these virtues on to his son, who supports him in his business. Sanjeeve also aspires to open a tailoring school that would target students all over the Indian Ocean. « Plans have been delayed due to the pandemic, but I have already identified my staff and the premises are ready ».
We can only wish him the best of luck with this project which should perpetuate his know-how and the tailoring profession, which he has humbly elevated to the status of art.